

SOUS L’ŒIL D’ADÈLE : OUVERTURE D’UNE LIGNE SAUVAGE AU CŒUR DES ÉCRINS
Face N de la pointe Louise, Écrins.
600 m ED- 5/M5+
Kilian Moni, Laetitia Chomette et Pierre Girot

Samedi matin, rendez-vous chez Laetitia, à Villar-d’Arêne, pour préparer nos sacs.
Deux jours avant, Pierrot m’appelle pour me proposer d’aller voir une ligne repérée par notre Laetitia préférée dans le vallon derrière chez elle. L’un des plus sauvages et profonds des Écrins.
La ligne se trouve à droite de « Louise Fine », en face N de la pointe Louise. Sur les quelques photos que je reçois, on y voit une superbe longueur de glace en bas, dont je ne peux pas identifier la longueur, une pente de neige médiane et une très fine goulotte supérieure qui débouche à une brèche. Je suis tout de suite attiré par cette face. La ligne semble évidente et plutôt bien formée. Le rendez-vous est pris.
Les sacs à dos sont lourds. Tout en déborde : tentes, vestes, snowplak, matelas. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu un sac aussi gros, qui se fait bien sentir au fil des kilomètres d’approche.
Une fois la ligne en visuel, on remarque un scud qui pend. Pas de glace ? Plus de glace ? Gros questionnement sur la soi-disant ligne. Est-elle en condition ? Est-ce que le glaçon est tombé ?

Le temps d’un kilomètre, le doute s’installe. Bon, il faut quand même aller voir. Rapidement, on se rend compte que notre ligne passe finalement à gauche de ce fameux scud. Il est d’ailleurs bien présent sur nos photos. Gros soulagement. Notre motivation remonte en flèche.
La ligne est repérée sur tout le bastion du bas, nous avons aussi vu la pente médiane. Il ne manque que le bastion supérieur, qui reste une inconnue : nous verrons bien demain !
La tente, quant à elle, est posée sur le plat du glacier au fond du vallon, face au col N de Roche Faurio, qui sera notre voie de descente.
2h15. Le réveil sonne. Contrairement à Pierre, ma nuit fut courte. Comme souvent, je ne dors pas en montagne. Mélange de peur, d’excitation et d’altitude que je supporte toujours aussi peu.

Les lyophs sont vite avalés et nous prenons le chemin du glacier de Tombe-Muret. Laetitia a un souci de frontale. Bon, on se dit que c’était un argument pour être plus light !
L’aube montre son nez lorsque je commence la première longueur. Rapidement, elle me met dans le thème de la journée : raide et en glace, tantôt bonne, tantôt mauvaise. Les protections sont précaires et peu nombreuses. Les run-outs seront le maître mot dans cette ligne de glace. J’attaque la L2 avant une lumière tamisée mais rassurante. C’est dans ce raide mur en glace pourrie que je commence à forcer pour de bon. La chute ne fait pas rêver sur ma dernière broche de 13 cm, qui se trouve déjà 8 m en dessous de moi. Je me concentre alors un bon coup, le focus va sur la frappe de pioche et le placement de pied, puis la longueur déroule en louvoyant dans cette glace pas toujours très bonne.
Rapidement, nous arrivons au pied du scud et du placage de gauche. C’est Laetitia qui file dans ce dernier. La longueur est encore une fois raide et en mauvaise neige. Elle avance doucement, mais le plus en sécurité possible. En second, je décroche un bloc rocheux qui frôle Pierre. Plus de peur que de mal, mais je garde en tête que notre journée aurait pu s’arrêter là.

S’enchaînent ensuite deux longueurs en glace 5 étoiles, comme on peut en trouver dans le vallon du Fournel en plein mois de février : un pur bonheur avant de rejoindre les pentes de neige médiane, raides mais en bonne neige. Nous avançons vite dans cette portion. Pierrot finit ces pentes de neige en traversant à gauche, avant de rejoindre la goulotte supérieure.
À notre grande surprise, elle est tout en glace. Quelle excitation ! La première longueur de cette section ne sera finalement pas en si bons placages. Ils sont maigres et souvent mauvais, mais Pierre les négociera à merveille. Les longueurs suivantes se ressemblent, mais sont toujours aussi belles dans cette fine goulotte. Jusqu’à la pente de neige finale qui nous amènera au soleil, par un vent grandissant qui refroidit fortement l’atmosphère.
L’euphorie est à son comble une fois rejointe la brèche : le soleil, les copains et une nouvelle ligne dans la poche. Quel plaisir !

Rapidement, l’atmosphère va changer : au premier rappel en face S, une pierre coupe net une corde à 30 m. Les rappels vont être plus longs que prévu. Puis, en rappelant cette corde, nous la bloquons. Perte de temps et agacement. C’est Pierre qui remonte la débloquer, en prenant soin de ne pas plus l’abîmer.
Finalement, ce seront quatre rappels de 30 m qui nous mèneront au pied de la face S. C’est un vrai soulagement de remettre les pieds sur terre. Cette face S est vraiment en caillou médiocre, qui nous aura travaillé l’esprit.
Une courte traversée du glacier nous mène au col N de Roche Faurio. Il ne reste plus que le couloir N à désescalader pour rejoindre la pente. Rapidement, la descente se finira façon toboggan pour gagner du temps et de l’énergie.
C’est sous l’œil d’Adèle Planchard, fatigués mais heureux, que nous rentrerons à la voiture pour attaquer le lendemain notre troisième stage avec le GEAN.
Équipement utilisé :
• ULTRA35
• ALPINE35


